En ce temps-là vivait dans la campagne, aux environs d’Edo (aujourd’hui Tokyo), un vieux moine d’une grande sagesse; celui-ci était connu jusqu’aux plus lointaines provinces de l’Empire du soleil levant pour sa grande piété, et sa constante bonne humeur.
Toshibu souriait à tous et à tout. Il acceptait les aléas de l’existence avec une parfaite équanimité.
Un jour, l’un de ses disciples les plus assidus osa l’interroger:
« Maître, qu’est-ce qui vous rend le coeur si gai que rien ne semble vous atteindre, ni le froid, ni le chaud, ni la soif, ni la faim, et pas même la méchanceté des hommes?
– Je vais te confier mon secret, dit Toshibu. Chaque fois que tinte la petite cloche d’argent que tu vois suspendue à ma porte, je me retiens de danser, tant mon plaisir est vif, et ma joie est grande… »
Or, ce disciple, malgré ses démonstrations de piété, avais le coeur mauvais. Il était envieux, et jaloux du bonheur d’autrui. Il décida de voler la petite cloche d’argent afin de connaître à son tour la joie perpétuelle. Une nuit, il s’empara de la cloche de maître Toshibu, il la dissimula sous son manteau, et couru jusqu’à sa demeure.
Dès le lendemain, il la suspendit à sa porte d’entrée et s’apprêta à goûter un bonheur ineffable. Il attendit. En vain. La petite cloche tintinnabulait dix fois par jour sous l’effet du vent, ou lorsqu’un visiteur pénétrait dans sa maison, RIEN.
Rien ne se produisait, et le disciple ne ressentait aucune joie. Ce tintement qu’il guettait sans cesse finissait même par l’excéder. Il croyait l’entendre la nuit. Il en perdait le goût du manger et du boire, devenait irritable. Tant et si bien qu’il résolut de se jeter aux pieds de son maître, d’implorer son pardon et de lui rendre la petite cloche d’argent.
Un matin, il rapporta la petite cloche à Toshibu, et se répandit en larmes de repentir. Le maître remit calmement la petite cloche au-dessus de la porte d’entrée et accorda son pardon. Quand le disciple fut certain d’être rentré en grâce, il interrogea Toshibu:
« Maître, je voudrais bien comprendre pourquoi cette petite cloche, qui vous procure un tel bonheur que vous vous retenez de danser, et que rien ne trouble votre joie, fut pour moi une source de chagrins?
– Le cyprès dans la cours », dit Toshibu.
Il faisait ainsi allusion à l’anecdote célèbre que connaissent tous les disciples du Zen:
« Qu’est-ce que le Zen? demanda l’élève.
– Le cyprès dans la cour », répond le maître.
Le Zen en effet est le « cyprès dans la cour », et aussi le « bâton » du mendiant, il est « l’écuelle » et « le bol de riz », ou la petite cloche d’argent. Le zen est tout cela, il n’est pas cela. Il est ici et là, et il n’est ni ici ni là. Le Zen est une évidence toute simple, immédiate, et il est un mystère impénétrable.
Les plus beaux contes zen, Henri Brunel